Étude de spécialité
Cette étude repose sur l’applicabilité de la loi d’irradiation dans quelques poèmes de Baudelaire. On va étudier tout d’abord les multiples aspects de cette loi et sa place de choix dans la littérature comparée et les effets qu’elle produit sur les poèmes de Baudelaire, mais aussi son intérêt pour que cette loi soit présente dans ses créations artistiques.
Un premier point de l’étude est la définition de la loi d’irradiation, ses principales caractéristiques, mais aussi des exemples de l’application de cette loi chez d’autres poètes et écrivains français.
Le deuxième sujet a traiter sera la mise en pratique de la théorie, c'est-à-dire l’exemplification avec des poèmes en prose de Baudelaire.
La loi d’irradiation se caractérise par l’introduction dans un texte d’un élément étranger qui peut être considéré comme un point irradiant. Cette irradiation peut être évidente, mais parfois elle peut rester secrète. Il peut arriver qu’elle soit si forte qu’elle tend vers une limite.
L’élément irradiant a une place de choix pour permettre une irradiation intense. Le plus souvent, c’est le cas des épigraphes qui apparaissent dans des poèmes en langue étrangère, leur langue d’origine et qui assure l’universalité du message. Pour cette loi, il suffit seulement de la présence d’un mot ou d’une phrase. Il y a plusieurs exemples des auteurs qui utilisent cette loi.
Paul Claudel met en tête d’une de ses poésies une citation d’un poème portugais. Cette citation donne déjà une couleur portugaise à l’action dramatique.
L’ensemble des épigraphes dans un même ouvrage peut donner une idée de la vaste culture étrangère d’un poète. Dans Gaspard de nuit d’Aloysius Bertrand, on a un ensemble des épigraphes qui forme un sorte de répertoire.
L’élément mythique peut être placé sur le même plan que l’élément étranger dans le système des épigraphes, par exemple Bertrand place en tête de Gilet une citation attribuée à Faust et non pas à Goethe.
Gérard de Nerval met en épigraphe le cri redoublé en Aurélia : « Eurydice ! Eurydice ! », ce qui signifie la première disparition de la femme aimée, mais aussi la deuxième disparition de la femme aimée. Donc, on pourrait affirmer que l’épigraphe mythique jette une lumière particulière sur le texte tout entier.
Un premier poème auquel on peut appliquer cette loi est La Solitude. Ce poème se construit autour du thème de la solitude.
La solitude est une des caractéristiques essentielles et clairement revendiquée de la condition du poète. En effet, pour Baudelaire, la solitude n'est pas une fatalité mais un choix libre et conscient : c'est un besoin auquel l'auteur aspire comme en témoigne ses "cris" de soulagement qui apparaissent dans beaucoup de poèmes : « Enfin ! Seul ! ... Enfin ! La tyrannie de la face humaine a disparu... Enfin ! Il m'est donc permis de me délasser dans un bain de ténèbres ! »
Dans ce poème, Baudelaire donne sa propre définition de la solitude. Pour lui la solitude est représentée par l’age moderne, par les hommes « qui cherchent le bonheur dans le mouvement », c'est-à-dire dans le progrès.
Il insiste sur le bonheur, les bienfaits de la solitude, sur la inquiétude face à face avec soi-même et déplore la vie en société avec son cortège d'obligations et d'hypocrisies.
Baudelaire considère le fait de ne pouvoir être seul comme "une grand malheur", voire comme une infirmité et il convoque La Bruyère : « Ce grand malheur de ne pouvoir être seul! ...» a dit quelque part La Bruyère, comme pour faire honte à tous ceux qui courent s'oublier dans la foule, craignant sans doute de ne pouvoir se supporter eux-mêmes ».
Il cite aussi Pascal : « Presque tous nos malheurs nous viennent de n'avoir pas su rester dans notre chambre,» dit un autre sage, Pascal, je crois, rappelant ainsi dans la cellule du recueillement tous ces affolés qui cherchent le bonheur dans le mouvement et dans une prostitution que je pourrais appeler fraternitaire, si je voulais parler la belle langue de mon siècle ».
Ce sont des véritables arguments d'autorité qui soutenaient que la solitude est un souverain bien pour l'homme. C'est avec un ton méprisant qu'il évoque ces "races jacassières" qui ne savent goûter les joies de la solitude et la compagnie des autres devient "une prostitution ... fraternitaire".
Les nombreuses citations que Baudelaire fait apparaître dans ce poème donnent une idée aux lecteurs de sa vaste culture étrangère.
Un autre poème qui se construit autour de la loi d’irradiation est Les bons chiens. Le poème est une variation du roman Un voyage sentimental de Sterne.
Ce dernier est invoque par Baudelaire de descendre du ciel vers lui pour l’inspirer en faveur des chiens sauvages ou d’autres encore plus civilisé : «Descends du ciel, ou monte vers moi des champs Élyséens, pour m'inspirer en faveur des bons chiens, des pauvres chiens, un chant digne de toi, sentimental farceur, farceur incomparable! Reviens à califourchon sur ce fameux âne qui t'accompagne toujours dans la mémoire de la postérité; et surtout que cet âne n'oublie pas de porter, délicatement suspendu entre ses lèvres, son immortel macaron!»
Le chien est ici une métaphore pour designer l’artiste : « Je chante le chien crotté, le chien pauvre, le chien sans domicile, le chien flâneur, le chien saltimbanque, le chien dont l'instinct, comme celui du pauvre, ….les chiens calamiteux, soit ceux qui errent solitaires ».
Il veut faire un appel a la nation de récompenser les vrais valeurs, c’est pourquoi il fait aussi des références aux bergers des Virgile et de Théocrite : « Les bergers de Virgile et de Théocrite attendaient, pour prix de leurs chants alternés, un bon fromage, une flûte du meilleur faiseur ou une chèvre aux mamelles gonflées. Le poète qui a chanté les pauvres chiens a reçu pour récompense un beau gilet, d'une couleur, à la fois riche et fanée, qui fait penser aux soleils d'automne, à la beauté des femmes mûres et aux étés de la Saint-Martin ».
Baudelaire a parfaitement réussi à reconstituer, en une surprenante et poignante vision, à la fois le drame de la condition humaine et de la solitude lucide et désespérée du poète.
Les nombreuses références aux poètes antiques grecs témoignent son vrai génie créateur, sa vaste culture et surtout l’applicabilité de la loi d’irradiation.
La poésie de Baudelaire est de facture classique, utilisant les artifices traditionnels du vers, mais Baudelaire se libère un peu des formes traditionnelles, même s’ils restent minutieusement métrés. L’éclatement de la forme classique ne viendra que plus tard, avec Rimbaud, puis Mallarmé.
L’oeuvre de Baudelaire, dans son romantisme exacerbé et sombre, située au seuil de la modernité poétique, expose longuement le déchirement d’un individu, pris dans le mouvement contradictoire entre le bien et le mal, la laideur et la beauté, Dieu et Satan, l’enfer et le ciel, la félicité et la douleur.
Şerbănoiu Florina
Şcoala Gimnazială “Nicolae Iorga”, Piteşti
(Postat martie 2022)