Étude de spécialité
Le comparatisme constructif ou le comparatisme du troisième degré repose sur l’existence d’une relation de fait, sur un rapport de dépendance ou d’influence, conscient ou non, entre deux textes au moins. « Ce comparatisme là est aussi illustré par les traductions et par les adaptations. C’est le cas du sonnet des Amours d’Hélène de Ronsard (« Quand vous serez bien vieille »), qui est repris par Yeats dans The Rose et devient: « When you are old and grey and full of sleep » , mais il y a aussi les traductions de Poe par Baudelaire, de Valéry par Rilke, de Baudelaire par Stefan George etc ».
Mais ce rapport peut prendre des formes subtiles. Tout l’intérêt du comparatisme réside dans ces rapprochements qu’on ne voyait pas ou qu’on arrivait mal à justifier.
Ce travail repose sur un autre comparatisme constructif: celui de Flaubert Madame Bovary, de Guy de Maupassant Une de partie de campagne et d’Anton Tchékhov La dame au petit chien.
Les trois œuvres ont en commun une scène de séduction fortuite. Mais il y entre elles une relation triangulaire, c'est-à-dire deux testes apparemment différents l’un de l’autre, deviennent proches par la médiation d’un troisième qui les polarise. Apparemment, il n’y a aucune ressemblance entre l’œuvre de Flaubert et celle de Tchékhov, leur lien commun est constitué par l’œuvre de Maupassant.
Ainsi, chez Flaubert la séduction repose sur le motif sonore des voix qui bouleversent la tête de l’héroïne .Dans le cas de Tchékhov la séduction est médiatisée par la présence d’un animal, plus précisément par un chien, donc il s’agit du motif animal. Dans l’œuvre de Maupassant, la séduction se réalise grâce à un rossignol (qui est un oiseau qui fait des bruits) et il réunit à la fois le motif animal et celui sonore.
Chez Flaubert on retrouve la scène de la séduction dans la deuxième partie du roman, dans le chapitre VIII, quand le village était en jour de fête, car c’était le jour du Comice agricole. Rodolphe vient à la fête pour rencontrer Emma parce qu’il veut lui faire la cour et la séduire. Pour atteindre son but, Rodolphe quitte la compagnie de M. Lheureux, pour qu’il soit seul avec Emma. Ils commencent une discussion dans laquelle Rodolphe se lamente de sa triste existence.
Les bruits sont omniprésents « la voix du conseiller s’éleva d’un ton extraordinaire » et les paysans « tous ressemblent entre eux ». Rodolphe parle des attractions irrésistibles qui sont causées par une existence antérieure. Le beau discours de Rodolphe était doublé par le conseiller qui lisait toujours et finalement le maire arrive et ils participent à l’attribution des médailles. Emma commence à sentir une forte mollesse qui la saisit. Elle revoit dans sa tête la nuit qu’elle a passée à Vaubyessard mais elle voit aussi Léon. La femme était accablée par les paroles du séducteur, mais aussi par le bruit. Finalement, Emma cède aux avances de Rodolphe et « mollement sans efforts, leurs doigts se confondent ».
Le deuxième texte qui entre dans ce rapport de dépendance est La dame au petit chien de Tchékhov. Il s’agit d’une nouvelle qui contient quatre mini chapitres. Elle fait partie d’un recueil qui a comme point commun les femmes. Tous ces récits reposent sur l’impossibilité d’aimer.
Dmitri Gurov, un banquier riche de Moscou, marié et ayant trois enfants, se trouve dans une station balnéaire à Yalta sur la mer Noir. Il était là depuis deux semaines et il commençait à s’habituer à la vie de cet endroit. Dimitri a entendu la nouvelle qu’un nouveau personnage est apparu sur les quais: une dame et son petit chien. Un jour, il remarque sur la digue une jeune femme très belle qui se promenait avec son chien.
Anna Sergheevna était mariée aussi, mais pas du tout heureuse. Elle attendait son mari qui devrait lui aussi venir à Yalta, mais les jours passaient et le comte Von Dideritz n’arrivait pas.
Pendant un dîner dans le jardin, Dmitri aperçoit la belle dame qui était assise à côté de sa table et il décide de la séduire. C’est le début d’une histoire d’amour entre deux êtres qui mènent une existence malheureuse et qui sont déçus par la vie. Le chien représente un lien entre eux, il étant en même temps le messager de leur amour. Anna cède aux charmes du galant homme sans trop de difficulté et ce qui au début semblait être une courte relation adultérine devient un amour fort et sincère, voire authentique. La jeune aristocrate a des remords, elle se sent coupable pour ses faits.
Après quelque temps, Anna reçoit une lettre de son mari qui la rappelle chez elle à Saratov. Elle part et Dmitri pense que sa vie va reprendre son cours normal, mais le souvenir de la dame au petit chien le poursuit partout et le hante. Et dans cet amour si imprévisible le séducteur se laisse prendre à son propre jeu et ce jeu de la séduction devient une passion amoureuse. Gurov la cherche à Saratov. Après cette rencontre ils commencent à se voir fréquemment et finalement ils décident de ne plus se cacher et mentir.
Pour Tchékhov les deux amoureux ressemblent à des oiseaux migrateurs enfermés dans des cages séparées. Ils sont faits l’un pour l’autre et leur amour est brûlant, mais aussi très douloureux. C’est grâce au chien qu’ils se sont connus et qu’ils ont pu partager leurs ennuis. C’est une histoire d’amour ou les personnages évoluent dans une sorte de solitude à deux, ou ils se distinguent par la mélancolie et ou chien sert de relais.
Le troisième texte qui renforce ce comparatisme est la nouvelle Une partie de campagne de Maupassant. La nouvelle a le rôle de lier dans cette relation triangulaire les deux œuvres précédents.
L’auteur expose la modeste famille Dufour qui sort dans un après-midi pour pique-niquer hors de Paris. Les trois personnages sont accompagnés par un autre, un jeune garçon qui sera l’époux d’Henriette. Ils rencontrent deux jeunes hommes, deux canoteurs. Mme Dufour converse avec eux et ils décident de se promener en bateau. M. Dufour et le garçon « à cheveux jaunes » restent sur l’herbe et les femmes partent en promenade.
Henriette reste seule avec l’un d’entre eux, avec Henri. Les deux se sentent attirés l’un par l’autre. Henri l’amène dans son « cabinet particulier », qui était une sorte de chambre dans le bois, pour entendre les rossignols. Ces oiseaux faisaient des bruits qui ressemblaient à la musique venue du ciel. Ils étaient assis l’un près de l’autre sur l’herbe, sans se parler.
Henriette aimait beaucoup le chant du rossignol: « Elle écoutait l’oiseau, perdue dans une extase ». Henri veut l’embrasser, mais elle le rejette et peut après elle sentait un « …tel amollissement de nerfs et du cœur, qu’elle pleurait sans savoir pourquoi ». La fille cède « affolée par un désir formidable » et se laisse baisée par Henri.
Le rossignol représente l’adjuvant qui contribue à la séduction d’Henriette, car la fille cède sans penser aux conséquences et au fait qu’elle ne pourra jamais revoir son nouvel ami parce qu’elle se mariera avec le garçon qui l’attendait toujours sur l’herbe. L’oiseau réunit à la fois le motif animalier mais aussi celui sonore. On pourrait affirmer que le rossignol constitue le point de liaison entre les trois scènes de séduction, car c’est Maupassant celui qui rapproche le texte de Flaubert de celui de Tchékhov, d’où cette relation triangulaire et bien sûr le comparatisme constructif ou ultra constructif.
Flaubert utilise le bruit pour séduire (le motif sonore), Tchékhov atteint ce but ayant comme instrument de séduction un chien (le motif animalier), mais Maupassant les dépasse et en même temps les rapproche ces deux écrivains en utilisant comme arme de séduction un oiseau, un rossignol qui réunit à la fois le motif animalier et celui sonore.
Şerbănoiu Florina
Şcoala Gimnazială “Nicolae Iorga”, Piteşti
(Postat martie 2022)